samedi 24 mai 2008

La magie n'est plus.

Un jour, j'ai eu 18 ans. J'étais grande, donc. J'allais à l'université, et de temps en temps, avec mes copines, on cassait notre cochon pour aller dans des soirées. On n'avait pas beaucoup de sous alors c'était rare, c'était l'exception, c'était la fête. On buvait de la bière en croyant braver des interdits terribles, on mettait deux fois du mascara, et on rentrait en noctambus. On était grandes quoi. Mais on était timides. Dedans, c'était plein de gens encore incroyablement grands, beaux, qui dansaient comme des dieux, habillés joliment, des filles élégantes et des déconneurs habitués à ce genre de festoyement. La bière coulait vite et fraiche, mais nous on sirotait doucement, l'amertume grimaçante, pour se forcer à être grand. C'était marrant, on dansait un peu sur de la soupasse musicale mais, inbibées que nous étions de jus de pomme soft et de demi verre de vodka-orange tiédasse, on se trémoussait comme les grands, en essayant de faire tout pareil. Bien sûr, nous n'en avions ni l'élégance, ni le charisme, mais on avait le déhanché. Puis on se marrait bien. Je me sentais si grande d'avoir le droit secret de sortir ainsi, sans le dire à personne, je faisais semblant de travailler chez moi et je sortais tard. Et rentrais seule. Interdit parental suprême. Jouissance filiale presque aussi suprême. Puis on fumait deux cigarettes en guettant les oeils ennemis près à nous dénoncés, des fois que. Grande mais trop petite, trop transparente pour qu'on me voit. Pour qu'on nous voit. Nous, on allait aux soirées d'étudiants comme des timides qui rêvaient qu'on leur parle, qu'on leur sourit, qu'on les remarque, mais pas assez alcoolisées ou trop secrètes pour faire le premier pas. Alors invariablement, on finissait par s'ennuyer, et on rentrait- sous la pluie, parfois. Avec cette impression de petit flottement léger de ceux qui commencent à picoler, et que, même un gobelet de pression peut rendre anormalement souriant et bavard. Je rentrais chez moi, heureuse. Et on en reparlait pendant longtemps, en se ventant des découvertes parisiennes que nous faisions, nous, les grandes. C'était grisant. Gentiment magique et émancipatoire.
Puis le temps a passé, sans forcément que l'on s'en rende vraiment bien compte d'ailleurs. Jeudi dernier, j'avais bien travaillé, je n'avais pas envie de faire de la grammaire, j'avais reçu un mail m'annoçant une soirée à côté de chez moi, et j'avais réussi sans difficulté à débaucher ma compagne de soirées pour tenter notre chance. Soirée blanche sur une péniche. Why not?! Nous nous y sommes rendues, en jupes et chemisiers blancs. Avec les yeux qui brillent et les cheveux souples. Des vraies grandes quoi. On est rentrées, et dejà, à l'entrée, la pose du tampon sur le dos de la main avait un goût un peu amer. A l'intérieur, il n'y avait guerre plus d'une douzaine de quidam. Seuls, et parfaitement blancs. La musique ressemblait toujours à la soupasse des fois précédentes, en un peu plus techtonisé. On est montées sur le pont pour voir les autres; mais il n'y avait guère plus de monde. Juste un mec vaguement imberbe qui expliquait à son copain en indiquant de l'index avec un sourir si grand qu'on y aurait presque cru, l'ambiance qui régnait "le volley c'est bien , on se met des doigts dans le cul". C'est à ce moment là que nous avons décidé de nous précipité sur le bar et de demander une bière avec deux gobelets, pour faire passer le temps. Et penser à autre chose que cette histoire de volleyeurs. "désolée, elles sont pas vraiment froides pour l'instant". Va pour une bière tiède donc. De toutes façons...On a discuté sur le pont, profitant de la vue plongeante sur la maison de la radio- et surtout, surprême du glamour parisien, sur la station service. De temps en temps, on allait en bas pour voir que ça se remplissait. Puis on tombait sur un vide béant et angoissant. Alors on remontait. Puis on redescendait. Mais toujours personne. Ou vaguement une grande perche maigrelette avec chemise strassée qui faisait devant deux nenettes à peine majeures et très gloussantes des démonstrations de pas de danse. Du coup on remontait. Non sans avoir fait un deuxième tour par le bar. Ma comparse avait jeté son verre. Moi, je posai le mien mahcouillé sur le comptoir. On a demandé une smirnoff et deux gobelets "euh, vous voulez pas récupérer celui ci?". Va donc pour la smirnoff dans verre mâchouillé avec fond de bière chaude et éventée. D'ailleurs la smirnoff, c'est une grande arnaque, une sorte de vague limonade faussement alcoolisée. Comme du cidre quoi. Un truc de petit qui fait la fête. Mais nous, on était grandes maintenant. Au bar, ça s'agitait un peu, malgré le petit nombre de convives. C'est à dire qu'ils n'avaient pas prévu de décapsuleurs et que les organisateurs s'essayaient à tour de rôle au décapsulage improvisé avec briquet. Je ne sais pas vraiment ce qu'on était venu y chercher: des gens sympas à rencontrer? les volleyeurs et leur discours sur l'étique de leur sport n'ont su nous convaincre. Pas plus qu'un beau parleur parlant le néerlandais avec qui nous avons échangé deux phrases. De l'air degrammaticalisée? oui, bof. Des souvenirs? non vraiment, les soirées étudiants d'il y a quelque années, c'était pas comme ça! les gens étaient plus nombreux, moins grotesques, plus rieurs. Un lieu insolite? peut être que c'est encore la chose que nous avons le plus trouvée! cette vue sur la station service, sur les voies rapides, ce pont de péniche qui tangue, c'était ... insolite, oui, c'est le mot.
Il est finit le temps où la magie des soirées étudiants opérait. Le temps, où, petites-grandes, on regardait avec le regard empli de considération ceux qui se trémoussaient avec tant d'aisance et d'autodérision, décomplexés en se promettant qu'on jour on ferait pareil. Nous sommes parties à minuit, regrettant juste la somme laissée à l'entrée. Non vraiment, on peut fermer la porte de l'ère des soirées étudiantes, et passer le relais à d'autres. Sans regrets. On est aussi bien avec un petit rouge sur les quais de Seine. A regarder passer les péniches au lieu d'être dessus. Puis ça tangue moins.

4 commentaires:

Ziboux a dit…

Nous faisons parti d'une génération exceptionnelle... Les jeunes d'aujourd'hui sont bien tristes !

Anonyme a dit…

un soupçon nostalgique, mais très bien raconté, t'inquiète, on se rattrapera!

Anonyme a dit…

elle est superbe ton histoire ! enfin, mignonne et superbement racontée :)

Une fille qui se prend pour la fée clochette a dit…

Un petit verre de rouge sur les quais de Seine >>> ça y est t'es une vraie bobo parisienne toi!
T'as réussi à débaucher laquelle?
Faudra me dire avec qui tu faisais des soirées étudiantes à la fac parce que j'ai pas le souvenir qu'on ait fait ça entre copines de l'ilpga. D'façon rien ne vaut une bonne soirée avec des potes à danser sur des musiques des années 80 déguisés en fées.. lol ;)