mardi 14 août 2007

Heathfield 1


Il était minuit et demi. Et je commençais à ressentir un fond de fatigue légitime et méritée. La journée avait été longue mais bonne et touchait à sa fin. Je sentais déjà la chaleur de ma douce couette et les effluves rassurantes de ma tranquille chambre à moi rien qu’à moi. Un fond musical calme et je dormirai vite. Nehal avait pleuré pendant déjà longtemps. Je m’en occupai. Puis Hind. Puis Rosie, qui, dépassée par les événements et les larmes incontrôlables de cette nouvelle recrue, me rappelait, pour prendre le relais. Je lui parlai, la rassurai, la consolai du mieux que je m’en sentais capable. Ce petit bout de fille était déjà un beau brin de femme et la simple idée de la prendre dans mes bras pour la câliner me donnait des nausées. Alors je la rassurais, avec ma voix suave et délicate me reposant sur le pouvoir persuasif des mots. Je promis de venir la revoir une demi-heure plus tard.
Je revins. Elle avait éteint la lumière. Elle sanglotait des hoquets assoupis. Tout allait pour le mieux dans la meilleure des chambres du square.
Et je partis me couchée l’esprit serein et consciencieux de ceux qui ont accompli leur travail comme il se doit. Détendue. Fatiguée. Mais apercevant la porte de ma chambre, en m’éloignant de cette crise de larme hystérique et sans fin à grands pas.
Je me glissai dans ma chemise de nuit dernier cri, d’un orange vif à vous aveugler pour bien des années. D’un orange à vous faire fermer les yeux pour une bonne nuit pleine de sommeil profond. Je sombrai, gentiment bercée par le silence apaisant qui m’entourait.
Je n’eu guère le temps de me plonger dans des rêveries polyglottes et animées de jeunes filles et d’aéroport. Je comptais pourtant bien profiter de la nuit à venir pour refaire le film de cette journée. Mais déjà, un toc toc toc imprévu vint frapper à ma porte.
Je grognai, un peu mais pas trop, et me levai, me prenant en pleine figure assoupie toute cette lumière orange. C’était Anne-Catherine. Un moindre mal, pensais-je lâchement. L’expérience s’exprimait ainsi. J’aurais troqué –et je troquerai toujours- douze Anne-Catherine faisant toc toc toc à des heures indues contre une élève malade qui m’exprimerait sur les pieds tout le contenu de son mal cœur au moment où j’ouvrirais la porte.
C’était donc Anne-Catherine.
Et c’était pour Nehal.
Ce début de sommeil, même bref, avait réussi à me faire oublier l’existence de cette créature pleureuse et je revins subitement à la réalité. Nehal, donc. Oui oui oui. Parfaitement. Et que veut-elle donc? C’est pas tant qu’il est une heure et demie du matin et que je dormais mais presque ; alors j’aime autant vous dire que la Nehal elle a intérêt à avoir de bonnes raisons de pas être plongée gentiment et sagement dans un bon vrai sommeil bien réparateur.
Elle était aller chercher de l’aide dans la salle des profs, cherchant à faire comprendre à qui de droit que ben non elle ne comptait pas dormir vu qu’elle ne le pouvait tout simplement pas. Vu que elle était dans une chambre seule et qu’elle avait peur et que comme on est très méchant on voulait pas la changer de chambre. C’est Anne-Catherine, tardivement éveillée, qui avait reçu ses plaintes, et qui, un peu dépassée par la chose, venait donc chercher du renfort en ma personne. Comme c’est attentionné ! C’est à ça qu’on reconnaît les vrais amis, pensai-je.
Nous nous sommes donc dirigés d’un pas décidé mais discret (surtout, ne pas réveiller les autres !) vers la chambre de Nehal. Qui sanglotait comme une misérable enfant battue sur son lit. Et inondait son matelas de larmes excessives de colère. Anne-Catherine était venu me trouver chercher après une conversation téléphonique houleuse avec la mère, qui avait appelé à une heure du matin pour gueuler. Parce que merde enfin oui quoi après tout ! Ca fait huit mois qu’elle a réservé et elle méritait (je cite) une chambre à plusieurs pour sa fille ! Mais oui bien sur !
J’expliquai d’une ton clame et ferme à la grassouille de Nehal que ce n’était pas tellement que je ne voulais pas mais qu’il m’était difficile d’envisager à cette heure avancée de la nuit d’effectuer un changement de chambre, de céder à ses caprices et d’aller délotir une petite fille sagement endormi dans son lit douillet pour l’y mettre elle à sa place. Il y a quand même des choses que je ne peux pas me permettre même avec toute la bonne volonté du monde.
Mais elle ne semblait pas sensible à mes arguments pourtant imparables d’humanisme et de respect. Elle méritait cette chambre. Un point c’était tout, et semblait prête à inonder jusque à tout l’étage de larmes et de pleurs trop forts pour obtenir satisfaction. Ce que Anne-Catherine et moi avions la ferme intention d’empêcher ! Non parce que faut pas déconner quand même ! Nehal pleurait incessamment et nous nous regardions à la recherche d’une solution miracle. Il fut très vite très clair que la douceur et l’amabilité ne nous permettrait pas de calmer l’hystérie croissante et qu’il fallait avoir recours à des moyens plus subtils.
Nehal se calmait, respirait, puis pleurait, cycliquement. Elle avait peur. Peur des fantômes. Nous ne voyons pas d’où pouvait bien lui venir cette stupide idée de fantôme ni comment le spectre de Margaret Clarke eut pu venir lui susurrer l’existence de présences mystérieuses dans le bâtiment.
Elle voulait aller voir sa sœur ce dont il était formellement hors de question vu que la sœur en question dormait à point fermés, dans une chambre à plusieurs –elle au moins ! nous fit elle comprendre- et qu’il était bien clair que ça réveillerait toute la chambrée que c’était pas une grosse Nehal qu’on aurait à gérer mais une grosse Nehal boudeuse plus 4 gamines ce qui ferait bien trop !
Nous aurions pu l’enfermer si les chambres avaient des verrous ; nous aurions pu la laisser pleurer indéfiniment dans son lit ; nous aurions pu l’abattre violement avec une batte de cricket comme il en traine toujours à moins de 34 seconde de marche à pied (selon les dernières statistiques) en terre de rosbeef ! Mais nous n’avions pas de verrou, et pas la moindre envie de parcours les 34 secondes qui nous séparaient théoriquement d’une arme blanche, et puis de toute façons, une Nehal, ça peut être beaucoup plus fort qu’une batte de cricket. Une Nehal en crise ça résiste à tout !
Comme il était clair qu’elle irait voir sa frangine si nous partions, nous restâmes, espérant qu’elle s’épuise elle-même dans ses sanglots et sombre enfin dans les bras douillets de Morphée qui l’appelait quand même très fort ! Comme un gros bébé de bientôt 14 ans qu’elle était !
Elle nous fit enfin comprendre qu’elle daignait envisager de se coucher à condition qu’on dorme à proximité d’elle. Il nous fallu user d’une rhétorique sans faille pour lui faire comprendre que c’était même pas en rêve et qu’on dormirait pas au pied de son lit sur la moquette ! Ni elle au pied de notre lit sur la moquette. Que chacun dormait dans sa propre chambre et que oui c’est vrai la vie c’est pas drôle tous les jours et parfois même pleine d’injustice !
Mais nous eûmes recours à une subterfuge temporairement salvateur : la laisser dormir et faire le guet dans sa chambre pour éloigner les mauvais esprits rôdeurs. Ainsi, nous veillerions, et elle pourrait dormir paisiblement. Ce qui nous fîmes. Je lui éteins de force la lumière, et nous nous assîmes dans le couloir. Anne-Catherine et moi. Il était déjà presque deux heures du matin. Elle continuait à chouiner exhibant les litres de larmes que son grand corps costaud pouvait stocker. Nous ne la voyons pas mais l’entendions gigoter, se retourner, se moucher, jouer avec son portable, râler. Nous restâmes presque une heure dans ce couloir vide et froid, dont le sol dur et la moquette rugueuse commençaient à se faire inconfortables. Morphée nous faisait de l’œil à nous aussi, et, Anne-Catherine alla furtivement chercher une couette. Nous étions donc toutes les deux assises dans le couloir, à partager une couette moche, guettant les mauvais esprits rôdeurs qui seraient susceptibles de venir interrompre le soleil dans le quel Nehal semblait enfin sombrer. Nous espérions très fort que personne ne décide de sortir de sa chambre à ce moment. Nous nous serions alors trouvées dans une position fort inconfortable, forcées d’expliquer que non pas du tout nous n’avions nullement l’intention de dormir dans le couloir, et que non bien sur que nous, nous ne nous livrions à aucune activité libidineuse honteuse sous ce duvet commun, mais qu’on guettait et que oui tout était presque normal.
Nehal ne pleurait presque plus. Nous la sentions apaisées, et nous commencions à entre apercevoir le moment où nous même pourrions aller dormir. On se refaisait le film de la journée en attendant et puis notre récit fut interrompu par les gémissements de Nehal. Ce coup ci, ce n’était plus des gémissement plaintifs mais des petits cris quasi organismiques un peu dérangeants, qui nous firent nous interroger sur ce à quoi rêvait le jolie petite fille frêle et des visions d’horreur s’emprirent de nous inexorablement. Assises sur la moquette bleu sale à lutter contre la fatigue, bercées par les cris érotiques de Nehal ; le glamour réduit à néant. Rien que d’imaginer la chose et nous rions nerveusement comme deux hystériques que nous étions devenues à notre tour, riant deux fois plus à l’idée d’être découvertes dans cette situation plus que piteuse par d’éventuels collègues insomniaques.
Passé deux heure et demie, nous décidâmes que merde, fallait pas abuser quand même, et nous partimes nous coucher ; prenant soin de marcher sur les endroits du couloir qui ne grincent pas, et de courir le plus silencieusement possible une fois au bout du couloir pour que Nehal perde notre trace si toutefois elle avait été réveillée par nos rires nerveux de fatigue.
Le lendemain au petit déjeuner, j’appris qu’elle avait réveillé Bethany à 3h, Natalie à 4, qui, un peu désarmée, l’avait emmenée faire des coloriages à la salle de dessin ( !!!), Helen à 5.
Le lendemain, elle changeait de chambre parce que bon c’est bien mignon tout ça mais pas deux soirs de suite. Mais elle réveillait quand même Helen 5 fois dans la nuit.
Le surlendemain, elle décidait de changer son lit de place au milieu de la nuit pour se rapprocher d’une autre élève.
Nehal fait partie de ces élèves qu’on apprend tous très vite à connaître !

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